Vous trouverez de nombreux articles sur le web concernant l'obtention d'une assermentation, souvent stéréotypés et maniant la langue de bois. Nous allons vous dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
1 - Généralités
Le titre d'expert traducteur n'existe pas réellement, ce qui existe c'est le titre d'expert judiciaire pour la spécialité "traduction en langue …".
Ce sont les Cours d'Appel qui font les nominations.
On peut être nommé pour l'écrit (traduction), ou pour l'oral (interprétariat), ou pour les deux.
Certains pensent qu'on ne peut traduire correctement que vers sa langue maternelle et qu'il faut mieux éviter de travailler dans l'autre sens. Oubliez cela. D'abord parce que ce n'est pas très vrai : certains traduisent à la perfection dans les deux sens, et d'autres fort mal dans les deux sens aussi. Et surtout, la justice ne fait pas cette nuance : si vous êtes nommé expert en chinois, vous aurez à traduire du chinois au français et du français au chinois.
Le pourcentage de candidatures retenues est faible, souvent bien inférieur à 5%. Ne vous désespérez pas en cas d'échec et retentez l'année suivante.
Etre nommé expert apporte quelques contraintes :
2 - Où postuler ?
Pour devenir expert judiciaire, en langue ou autre chose, il faut postuler auprès de la Cour d'Appel de votre domicile.
Du nord au sud et de l'ouest à l'est il y en a 29 en métropole : Douai, Amiens, Caen, Rouen, Reims, Versailles, Paris, Metz, Nancy, Rennes, Orléans, Colmar, Angers, Bourges, Dijon, Besançon, Poitiers, Limoges, Riom, Lyon, Chambéry, Grenoble, Bordeaux, Agen, Pau, Toulouse, Montpellier, Nimes et Aix en Provence.
Il y a aussi une Cour d'Appel en Corse à Bastia et six dans les DOM-TOM : Fort de France, St Denis de la Réunion, Basse Terre, Cayenne, Nouméa et Papeete.
Chaque Cour d'Appel couvre quelques départements. Par exemple la Cour d'Appel de Paris s'occupe de Paris, de Seine et Marne, de l'Yonne, de l'Essonne, de la Seine Saint Denis et du Val de Marne.
Il est totalement inutile de postuler en dehors de votre zone d'habitation, ce critère sera vérifié car chaque Cour d'Appel veut avant tout que "ses" experts soient disponibles pour "ses" besoins, donc proches.
Pendant longtemps les habitants de la région parisienne pouvaient tenter leur chance auprès de 2 Cours d'Appel, Paris et Versailles. Mais depuis 2023 un décret interdit les candidatures multiples.
3 - Comment postuler ?
Chaque Cour d'Appel a un site internet où vous trouverez une rubrique "Partenaires de Justice" et une sous rubrique "Experts". Parfois il y a une sous-rubrique "Traducteurs" distincte de celle des autres catégories d'experts. C'est là que vous trouverez le dossier de candidature à remplir très soigneusement car vous ne serez pas reçu en entretien, toute l'évaluation sera faite sur la base de ce dossier.
4 - Quand postuler ?
A n'importe quel moment de l'année, mais les candidatures sont évaluées une fois par an seulement, courant novembre. Le mieux est donc de faire son dossier à la fin de l'été.
5 - Quelles sont vos chances ?
La sélection s'effectue exclusivement sur dossier, vous ne passerez pas devant un jury et personne ne vérifiera la réalité de vos compétences. C'est un ensemble de huit critères qui vont faire la décision.
- Premier critère : avoir la nationalité française et un casier judiciaire vierge.
Autant le savoir dès le début, et cela ne souffre à notre connaissance aucune exception.
- Second critère : la justice a t'elle besoin de vos compétences.
Ce point est totalement rédhibitoire aussi. La première chose que regarde une Cour d'Appel ce sont ses besoins (1). Prenez connaissance des experts déjà nommés en consultant la liste officielle (toujours sur le site de la Cour d'Appel où vous aimeriez être accepté), et regardez ce qu'il en est dans la langue où vous souhaiteriez être nommé, cela peut vous faire gagner du temps. Si vous vivez en région parisienne cela vous permettra de choisir entre postuler à Paris ou à Versailles, en choisissant la CA (abréviation de Cour d'Appel) où ils sont le moins nombreux. Tenez compte des départs obligatoires à la retraite à 70 ans : l'année de naissance des experts est mentionnée.
Comprenez bien l'importance de ce critère : Peut être que sur les 5 ou 10 prochaines années votre Cour d'Appel estimera ne pas avoir besoin d'experts dans votre langue. Vous et d'autres personnes allez remplir des dossiers en pure perte, juste parce que personne ne se préoccupe de dire à l'avance : "Cette année nous allons nommer un nouvel expert en anglais, deux en arabe, un en turc, ... Par contre, en allemand, en italien, en serbe, en vietnamien, ... nous pensons avoir ce qu'il nous faut et nous ne regarderons même pas les dossiers des postulants."
- Troisième critère : la langue étrangère que vous maîtrisez est elle rare ?
Si oui, cela ne garantit pas que vous serez nommé, mais cela peut assouplir les critères qui vont suivre.
- Quatrième critère : vos diplômes.
La sélection se faisant sur dossier exclusivement, avoir des diplômes importants est un atout majeur. Avoir fait des études de linguistique est un plus, mais cela n'a rien d'obligatoire (2). Le doctorat est mieux que le master, ce dernier pouvant être considéré comme le minimum, sauf pour des langues rares où les exigences peuvent descendre à la licence ou même au baccalauréat (2). Le niveau d'exigence fluctue selon l'offre, la demande, le lieu et le temps.
- Cinquième critère : votre maturité.
La justice rechigne à considérer des candidatures trop jeunes. En plus, elle souhaite que vous soyez diplômé et expérimenté, ce qui demande forcément un peu de temps. Dans la pratique, avoir moins de 35 ans est un handicap.
- Sixième critère : votre expérience.
Avez vous travaillé dans le secteur de la traduction ? Avez vous vécu dans un pays étranger parlant la langue concernée ? Avez vous fait des études universitaires dans cette langue ? Tous ces aspects sont bien sûr très importants pour garantir votre niveau.
- Septième critère : la formation à l'expertise judiciaire
Depuis quelques années la justice est devenue friande de formation et en demande à l'envi, que ce soit pour devenir expert ou pour le rester. De multiples stages - au contenu parfois discutable - se sont donc mis en place pour satisfaire cette demande.
Il vous faudra donc faire, à vos frais, un stage qui vous fera découvrir comment la justice est organisée et diverses autres choses pas inintéressantes, bien que sans aucun rapport réel avec la fonction convoitée. Car en réalité un traducteur-interprète judiciaire est un traducteur-interprète comme les autres. Sa seule et unique vertu est d'être transparent : de respecter ce qui a été dit ou écrit dans la langue source et de le transcrire sobrement - tout en conservant toutes les nuances - dans la langue cible (3). Même si vous étiez totalement ignorant du monde judiciaire, allant jusqu'à croire que c'est le greffier qui décide des peines et que le procureur défend les prévenus, cela n'aurait pas d'impact réel sur votre efficacité en tant que traducteur interprète judiciaire.
Avertissement : cette opinion n'est pas politiquement correcte. Même si vous la partagez, évitez d'en faire état en présence de personnels de Cour d'Appel.
- Huitième critère : vos relations
Cela n'a rien d'obligatoire mais peut aider. La justice ne s'interdit pas un peu de cooptation. Il ne faut pas y voir du "piston" au sens péjoratif, mais de la prise en compte d'informations complémentaires pertinentes. Donc, si un juge de la région se porte garant de vos qualités intellectuelles et morales par un courrier envoyé directement au service des experts judiciaires de votre CA, ça ne fera pas de mal à votre candidature. Les dossiers bénéficiant d'un coup de pouce de cette nature sont minoritaires mais bien réels.
Ce guide est terminé (4), il ne nous reste plus qu'à vous souhaiter bonne chance.
Notes :
(1) Ce nombrilisme est regrettable mais bien réel : les experts assermentés en langues sont indispensables à de nombreux particuliers, entreprises, administrations, notaires, avocats, huissiers, ... mais la justice n'en tient aucun compte dans sa gestion des experts. Vous pouvez approfondir cela en consultant un autre article : La raquette de la traduction assermentée est pleine de trous, qui aborde aussi les questions de fraude.
(2) De nombreuses Cour d'Appel - celle de Paris par exemple - précisent dans leur liste officielle les principaux diplômes de chaque expert, et c'est très instructif. Le cas général peut être illustré par cet exemple : "DESS de traducteur juridique spécialisé, Master ès lettres en littérature française, Diplôme de Bachelor ès lettres en littérature anglaise (University of California, Berkeley)". Mais on trouve aussi : "Diplôme en hôtellerie et restauration" pour un autre, ou "Diplôme d’Etat d'aide-soignante" pour une troisième, ce qui montre bien l'élasticité des exigences.
(3) L'expert traducteur est totalement différent de tous les autres experts judiciaires à qui la justice demande réellement de réaliser et rédiger des expertises pour éclairer la justice : De quoi cette personne est-elle décédée ? Pourquoi ce pont s'est-il effondré ? Cette personne a-t-elle écrit cette lettre ? ... Mais pour les experts traducteurs-interprètes, il s'agit simplement et classiquement de communiquer au delà du barrage de la langue.
(4) Postulants pas encore heureux ou experts en titre, vos questions ou réactions sont les bienvenues (par mail à secretariat@gmail.com), nous y répondrons avec plaisir.